Avec Loin de moi la colère, le réalisateur ivoirien Joel Malaury Akafou revient sur les séquelles laissées par la crise post-électorale de 2011 en Côte d’Ivoire. Ce documentaire de 83 minutes, sorti en 2024, met en lumière le parcours de Maman Jo, une femme Guéré dont la famille a été décimée par la guerre. Déterminée à restaurer le vivre-ensemble dans son village de Ziglo, à l’ouest du pays, elle entreprend un processus de réconciliation communautaire, dans l’espoir d’apaiser les tensions encore vives et d’éviter de nouveaux conflits.
Un long chemin vers la réconciliation
Dès le début du film, Maman Jo apparaît comme une figure de résilience et d’abnégation. Son premier acte consiste à obtenir l’aval du chef du village avant d’engager un dialogue avec la population. À travers diverses activités collectives et des rencontres individuelles, elle tente d’enterrer symboliquement la hache de guerre, tout en offrant aux habitants un espace d’expression pour mettre des mots sur leurs traumatismes.
Le film se construit dans un contexte où la douleur est encore omniprésente. Nombre de victimes portent en silence le poids de leurs blessures, de peur de raviver leur souffrance. Cette réticence, combinée aux difficultés techniques et au manque de soutien, a retardé la production du film, qui a nécessité sept années pour voir le jour.
Un documentaire percutant
L’un des aspects les plus marquants du film réside dans son approche hybride. En mêlant contes traditionnels, langues locales, rituels culturels africains et habitudes citadines, Joel Malaury Akafou donne à voir la complexité du processus de pardon et de reconstruction sociale. Sa mise en scène privilégie les plans d’ensemble, illustrant visuellement la quête du vivre-ensemble.
D’un point de vue esthétique, Loin de moi la colère adopte une approche brute et authentique. Certaines séquences, dénuées d’artifice, plongent le spectateur dans la réalité brute des survivants, intensifiant ainsi l’impact émotionnel du film. L’une des scènes les plus poignantes montre un groupe de personnes rassemblées autour d’un feu, écoutant un conte alors que la pluie tombe et que le tonnerre gronde. L’association de ces éléments naturels avec les pleurs des femmes confère à la scène une force dramatique saisissante.
Les témoignages des victimes accentuent cette immersion. Parmi eux, celui d’une mère ayant perdu son fils durant la crise ou encore l’histoire d’un jeune homme portant à l’épaule une cicatrice, vestige des violences passées. Ces récits incarnent la souffrance collective et rappellent à quel point les blessures de la guerre restent vives, même après des années.
Parler pour se libérer
À travers Loin de moi la colère, Joel Malaury Akafou met en avant une idée fondamentale : l’expression de la douleur est une étape clé du processus de guérison. Si l’oubli reste impossible, parler permet d’alléger le poids du passé et de redonner une voix à ceux qui ont longtemps été réduits au silence.
En plaçant la parole et le dialogue au cœur de son récit, ce documentaire s’impose comme un plaidoyer pour la mémoire et la réconciliation. Un film nécessaire, puissant et profondément humain.