« La mère de tous les mensonges » de la réalisatrice marocaine Asmae El Moudir a été projeté dans la soirée du lundi 24 février 2025 lors de la 29e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Ce docu-fiction livre une histoire poignante, à la croisée du personnel et du collectif, sous le roi Hassan II dans les années 1980, au Maroc.
Son point de départ, une simple photographie d’école qui la met face à un mensonge de son enfance. Persuadée qu’elle ne figure pas sur cette photo, elle remonte le fil de son histoire et de celle de sa famille, jusqu’aux traumatismes enfouis.
Son enfance, marquée par l’absence totale de photos d’elle, trouve une explication glaçante : sa grand-mère interdisait toute image dans la maison, sauf celle du roi Hassan II. Mais cette justification en cache une autre, bien plus douloureuse, qui ne sera révélée que bien plus tard, au moment du tournage.
En rassemblant ses proches dans son atelier, autour de maquettes de la Médina de Casablanca et de figurines façonnées par son père, Asmae El Moudir réinvente un dispositif singulier. Un théâtre miniature où chacun est amené à revisiter son passé, à se confronter aux non-dits, aux mensonges et à l’autoritarisme qui ont rythmé leur vie.
Ce dispositif donne aussi un écho intime à un drame collectif que sont les émeutes du pain de juin 1981 à Casablanca. Cette nuit tragique, où l’armée a réprimé violemment une manifestation contre l’augmentation des prix, a fait des centaines de victimes, enterrées clandestinement par l’État. Grâce aux figurines et aux témoignages des survivants, le film reconstitue ce pan d’histoire que beaucoup ont voulu oublier.
Loin d’un documentaire classique, « La Mère de tous les mensonges » oscille entre le réel et l’imaginaire. En mêlant reconstitution et témoignages, Asmae El Moudir crée un dialogue entre mémoire et histoire.
Un dispositif original mais perfectible
Si l’approche visuelle du film est ingénieuse, avec ses maquettes animées et ses jeux de lumière subtils, elle n’est pas exempte de défauts. En voix off, la réalisatrice adopte parfois un ton enfantin, chuchotant ses phrases, un choix stylistique qui peut agacer sur la durée.
De son côté, la grand-mère, figure centrale du récit, s’impose naturellement. Autoritaire et charismatique, elle capte l’attention sans avoir besoin d’artifice. En comparaison, certains passages du film paraissent parfois trop construits, trop scénarisés, ce qui atténue l’impact brut de certains témoignages.
Malgré ces réserves, le film reste original et créatif. Grâce à une mise en scène maîtrisée, il parvient à maintenir une certaine légèreté, apportant même par moments une touche d’humour pour désamorcer la gravité du propos.
Présenté dans plusieurs festivals, « La Mère de tous les mensonges » a su séduire par son approche originale et son récit bouleversant. Il a notamment été récompensé au Festival de Cannes dans la section « Un Certain Regard », un prix qui souligne la puissance et l’audace de son dispositif narratif.
Ce succès confirme le talent d’Asmae El Moudir, qui signe ici une œuvre à la fois intime et universelle. En mêlant petite et grande histoire, souvenirs familiaux et mémoire collective, elle offre un documentaire aussi singulier que nécessaire, qui laisse une empreinte durable dans l’esprit du spectateur.
Par Issa Sidwayan TIENDREBEOGO
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