La 29ᵉ édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) bat son plein dans la capitale burkinabè. Hier, dimanche 23 février 2025, le film des réalisateurs Gaël Kamilindi et François-Xavier Destors, respectivement rwandais et français, a été projeté à Canal Olympia de Ouaga 2000.
Ce documentaire de 83 minutes, sorti en 2024, retrace l’amour d’un enfant pour sa mère et a impressionné les cinéphiles de par son intensité saisissante. Didy, c’est le nom de la mère du co-réalisateur Gaël Kamilindi. Sur les traces de Didy sa mère qu’il n’a pas connue, le réalisateur va à la rencontre de personnes qui l’auraient connue dans le passé. Le film aurait sans doute plus gagné en profondeur si certains témoins directs avaient pu livrer leur récit jusqu’au bout. Initialement prévus au nombre de quatorze, seuls dix ont pu accompagner le film jusqu’à sa finalisation.
Enquêtes, témoignages et adaptation
Sept années ont été nécessaires aux réalisateurs pour mener l’enquête. Sept ans d’angoisse, d’incertitude et de peine. Quatre témoins clés tireront leur révérence avant la fin du tournage. Cela aura pour conséquence, l’altération de l’arc narratif du film. Mais cela n’a pas empêché les co-réalisateurs de proposer un film saisissant. N’est-pas là ce qui fait la beauté du documentaire? Savoir s’adapter…
Malgré ces absences, le film ne perd rien de sa force narrative. Les réalisateurs maîtrisent avec brio l’art du documentaire. Pendant sept ans, ils ont reconstitué minutieusement les fragments de la vie de Didy à travers les témoignages de ses proches, ses sœurs et ses amies d’enfance. Face aux silences laissés par la disparition de certains témoins, ils ont su adapter leur approche en intégrant des archives, des lettres et des photos inédites, donnant ainsi au documentaire une intensité émotionnelle et un ancrage historique saisissants.
De la technique à l’esthétique
L’un des éléments les plus marquants du film reste sa bande sonore. Un poème écrit par Didy elle-même y est sublimé, ajoutant une dimension intime à l’œuvre. Toutefois, certains choix de mise en scène interrogent. À la 41ᵉ minute, une amie de Didy, évoquant leur passé de « femmes libres », apparaît avec un foulard sur la tête, en contradiction avec ses propres souvenirs. Les archives photographiques révèlent en effet une image différente. Celle d’une femme souriante, détendue, sans couvre-chef, incarnant l’esprit d’indépendance qu’elle revendique, sans contrainte extérieure, dans son témoignage. Cette discordance questionne la fidélité des reconstitutions visuelles.
Le décor, quant à lui, joue un rôle essentiel dans la contextualisation du récit. Les ruines et les cicatrices laissées dans un pays autrefois ravagé par la guerre plongent le spectateur dans une époque révolue. mais parfois, les choix esthétiques semblent s’éloigner du propos. Certains lieux-clés, décrits avec force par les témoins, ne sont montrés qu’au travers de leurs gestes, créant un manque visuel qui aurait pu être comblé par des images d’archives ou des plans d’illustration. Par exemple, à la 51ᵉ minute du film, deux amies témoins de Didy décrivent un lieu marquant de leur passé commun depuis un véhicule, mais le site en question n’est montré qu’à travers de simples gestes, laissant un vide visuel.
Visuellement, le réalisateur mise sur l’émotion brute. Les gros plans, notamment ceux capturant les regards et les silences, donnent une profondeur aux témoignages. Une scène particulièrement forte à la 33ᵉ minute illustre ce choix. Une amie de Didy, le regard perdu, évoque leur cohabitation avant sa disparition. L’émotion transparaît dans chaque détail de son expression, renforçant l’empathie du spectateur.
D’un point de vue technique, le montage et l’étalonnage assurent une fluidité appréciable malgré l’ampleur du travail de terrain. Le réalisateur évoque une centaine de rushes collectés et tournés professionnellement par son équipe technique auprès des témoins, montés avec précision pour offrir un équilibre entre gros plans immersifs et plans larges contextuels.
L’objectif du film semble être atteint, mettant en lumière le sort des femmes vulnérables avant le génocide rwandais de 1994 et la stigmatisation des malades du VIH/SIDA à cette époque. Malgré les obstacles, « Didy » réussit son pari. Transmettre une mémoire, briser des tabous et offrir un hommage poignant à une femme dont l’histoire se confond avec celle d’un pays.
Par Issa Sidwayan TIENDREBEOGO
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